mercredi, octobre 25, 2006

"Une Fête en Larmes




Hier soir, peu avant une heure du matin, attendant le dernier train de banlieue, sous la marquise ruisselante d'une petite gare, je songeais à l'espace, ou plutôt le temps, qui me sépare d'une époque, d'un chaud été parisien, où j'attendais tous les matins l'un des premiers RER, sous une marquise toute pareille ; il y en a tant, le long de cette voie, datant de l'époque où l'on parlait de la Ligne de Sceaux.
Vous aussi, vos dix-huit ans, votre terminale ne vous semblent-ils pas loin ?
J'ai perdu, en deux ans, bien des illusions. La vie est une succession de brillantes déconvenues. Que disait Jean d'Ormesson ? une fête en larmes.


Il est bien vrai que j'aime plus la fraîcheur d'une matinée d'automne ventée, quand les feuilles mortes du Boulevard Saint-Germain sont soufflées par un air sec qui dégage un ciel pur en bouffant vos cheveux et rabattant les pans de votre manteau, que l'étouffement d'un après-midi d'été, quand votre chemise colle à la peau, que le bus est à peine supportable, le métro inenvisageable, et que, installé au Luxembourg pour y chercher un peu d'air, vous plongez dans les nuées de poussière soulevées par tant de pieds battant les allées, ou dans celles de pollens qui vous prennent au nez, pour en sortir enfin, le cirage de vos souliers irrémédiablemet gâté par cette poudre blanche du Luco.



Jean Bruno Wladimir Lefèvre d'Ormesson, l'un des plus excellents auteurs de notre temps.


Le comte d'Ormesson, pour en revenir à Sa Transcendance, relate dans Au Plaisir de Dieu une amusante anecdote sur Susthène, peut-être arrivée à son propre aïeul qui se serait précipité, un jour de chaleur où il était vêtu plus que de raison, sur un étalage de mouchoirs, au Bon Marché, et les aurait un à un trempés, devant des vendeurs interloqués.



Tout ceci est bel et bon (quoique), mais pourquoi ce post ? je voulais parler un peu de certains faits politiques anglais.

L'Angleterre, en effet, et avec elle le Royaume-Uni, est confrontée à bien des enjeux qui sont les nôtres ; libertés publiques menacées par le Parlement, intégration de certaines populations à la nation, retour en force du religieux dans la société, ou plus généralement interrogation sur la place de notre patrie dans le monde actuel, de nombreux phénomènes nous sont communs.

Je ne discuterai pas ici de ces points, nous aurons sûrement l'occasion d'y revenir amplement avant le 6 mai ; je voudrais juste faire quelques rapprochements.

Je suppose que tous les lecteurs de ce mot, même en Afrique du Sud ou à Taïwan ont dû lire un entrefilet concernant des propos du chef de la majorité aux Communes, M. Straw. En effet, le Bernard Accoyer britannique a déclaré, dans un journal local, qu'il trouvait le port du niqab gênant pour les contacts intercommunautaires, déclenchant ainsi de nombreux débats, dans tout le pays ; hier, par exemple, des étudiants distribuaient des tracts, sur le campus, invitant à un rassemblement, à Westminster, pour défendre Muslim women's right to dress as they like.

Un journaliste de The Independent en vint même à titrer l'un de ses articles So were the French right all along ? Notons seulement que le row en question concerne ici un type particulier de voile islamique, peu courant en France, et qu'il se concentre sur les rapports entre communanautés, et non la liberté des jeunes filles appelées à le porter, voire sur la laïcité, principe dont le schisme de Henry VIII a ôté la nécessité.

Remarquons également le procès d'un homme accusé d'avoir euthanasié sa femme, au moment même où un autre semblable fait, en France, la une des journaux.

Le tableau ne serait pas sincère si je n'évoquais, par delà ces similitudes essentielles, une différence contingente.

Au rebours du Gouvernement de la France, le Cabinet Britannique s'est engagé bien inconsidérément dans la fondrière d'Irak ; son peuple s'en mort les doigts. L'on ne compte plus les déclarations d'officiels, de politiques, de journalistes condamnant cette guerre ; hier encore, j'ai pu lire dans un article de quotidien, we have done much more harm to the Iraqi people than Saddam did.

Qu'est-donc allé faire le Royaume-Uni de Cook et de Lord Mountbatten dans cette galère ? S'il y a une nation, en dehors de la France, qui a maintes fois démontré son art de la guerre sur tous les continents, qui bénéficie d'une immense expérience des colonies, dont la puissance n'a d'égale que l'habileté, c'est bien le royaume de Pitt et de Churchill.

Que l'Amérique ait toujours eu du mal à faire la guerre, suite à une certaine méconnaissance de l'étranger et à une tendance à ne pas savoir confondre le politique et le militaire, à ne pas savoir déterminer les limites d'un engagement est évident depuis Diplomacy de Kissinger ; que le Royaume-Uni ait pu la suivre dans ces errements, entraînant avec lui tout un peuple dans le deuil, l'exil, la guerre civile est plus qu'une erreur, c'est une faute.

Ces revers au Moyen-Orient sont, avec le projet de réforme de la Chambre des Pairs, les deux sujets principaux de l'actualité, cette semaine.

Ce projet, maintes fois repris depuis le Bryce Comitee de 1948, repose sur une volonté de rendre tout ou partie de la Chambre éligible au suffrage universel direct ; ceci, avec la suppression de la fonction judiciaire des Lords of Appeal, et leur remplacement par une cour suprême, constituant les deux pilliers d'une réforme entamée par les House of Lords et Constitutionnal Reform Acts de 1999 et 2005.

Nul doute que tout cela soit issu de bonnes intentions, mais faire désigner certains pairs par le gouvernement, quand d'autres seraient élus conduirait immanquablement, dans un régime fondé sur la démocratie, à affaiblir la légitimité des premiers ; quant à les vouloir tous élus du peuple, ne serait-ce pas là s'enfoncer dans les délices des débats sur l'utilité même de la chambre haute, tels qu'ils ont miné la politique de notre pays, depuis Sieyes et Clermont-Tonerre ?

Tout ceci est bien long, je vous laisse.

La photographie de J. d'Ormesson provient du site des Editions Robert-Laffont ; je profite de cette sorte de post-scriptum pour vous signaler, suite à certains de vos courriels, que le texte du projet de loi dont je vous parlais dans un dernier post est, bien évidemment, disponible sur le site de l'Assemblée.


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4 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Amusant, ton blog.
Tu parles de la terminale et tes disserts n'ont pas raccourci depuis.

Ashkelex

17:31  
Blogger Aymeric said...

Ravi de voir que nous admirons un auteur en commun!
Mon cher Olivier, je me réjouis rien qu'à son évocation! Qu'est ce que je peux aimer d'Ormesson!

04:05  
Blogger Olivier said...

Heureux de te savoir membre du club de Plessis-lez-Vaudreuil, Aymeric !
Il faudra que l'on fête cette passion, un midi, au Voltaire.

Quant à toi, Alexis, les notes que tu obtenais avec les tiennes te donnent le droit de te taire ; combien avais-tu, en moyenne ? dix ou douze points de moins que moi ?

16:17  
Anonymous Anonyme said...

Bravo, bien cassé mon cher.

Ashkelex

17:57  

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